1.2.4. La discrimination, une notion de la psychosociologie et de la sociologie
Les sociologues distinguent trois niveaux de discrimination.
1.2.4.1 La microdiscrimination infralégale
« On peut qualifier [les]
microdiscriminations de discriminations infralégales, dans le sens où elles
relèvent de la définition des discriminations mais sont en deçà du seuil que le
droit fixe pour interdire de telles pratiques. Or, d’une part, dans l’univers
scolaire, la majorité des actes d’ordre discriminatoire relèvent de telles
microdiscriminations infralégales. Par exemple, le fait de solliciter plus
certains élèves que d’autres n’est pas punissable par la loi. Pourtant, nous
savons que ce type de microdifférenciation contribue à produire d’importantes
inégalités d’apprentissage ». (Réseau national de lutte contre les
discriminations à l’école, « La discrimination à l’école : de quoi
parle-t-on ? », Mars 2014).
Il est possible pour comprendre la manière dont les microdiscriminations peuvent avoir des conséquences importantes de faire une analogie avec le harcèlement scolaire. Celui-ci repose sur des microviolences, qui ont un caractère le plus souvent infrajuridique, mais c’est leur répétition qui conduit à générer le harcèlement. Ce harcèlement peut avoir des conséquences dommageables sur la scolarité de l’élève qui en est victime : il peut éprouver un mal-être à l’école et dans des cas plus graves, cela peut conduire au décrochage scolaire. Le décrochage scolaire est un phénomène macrosocial qui est mesurable statistiquement. Sur l’ensemble statistique du décrochage scolaire en France, on estime qu’une partie non négligeable serait liée à des situations de harcèlement scolaire.
- Micro-inégalités et
micro-avantages
Pour approfondir, la notion de microdiscriminations, il est possible de s’appuyer sur les travaux de recherche de l’universitaire américaine Mary Rowe [1]. Elle a mis en avant dans ses recherches la manière dont des microdiscriminations et des micro-avantages pouvaient impacter de manière différentielle le déroulement de carrière des femmes et des hommes.
- Stéréotypes, préjugés et
discriminations
Le stéréotype désigne en psychologie une représentation simplifiée de la réalité, mais qui permet d’en faciliter l’organisation. En cela, toute personne a des stéréotypes.
Le préjugé : la difficulté, c’est lorsque le stéréotype se transforme en
préjugé. Le préjugé est un jugement arrêté sur une réalité qui repose sur un
stéréotype. Le préjugé peut conduire à des généralisations abusives ou à des
amalgames.
Le problème, c’est que les préjugés, liés à nos
stéréotypes, sont bien souvent inconscients. C’est ce que montrent les tests d’association
implicite (IAT) [2].
Pour aller plus loin
Dans ce site Internet, nous nous intéresserons dans le cadre d’une intervention sur le plan pédagogique aux discriminations liées à des micro-interactions conduisant à produire des inégalités.
Néanmoins, il ne faut pas oublier
que l’action pédagogique d’un ou de plusieurs enseignants dans un établissement
scolaire n’est qu’un des niveaux auquel s’exercent les discriminations. En
effet, il est possible de distinguer deux autres niveaux de fonctionnement des
discriminations.
1.2.4.2. La discrimination institutionnelle
« Souligne que les institutions intègrent, dans leur
fonctionnement routinier une multitude de normes et de pratiques ayant des
effets discriminatoires, en dépit de leur apparente neutralité » « La
discrimination, de la qualification juridique à l’outil sociologique », Politix, 2011/2 (n° 94), p. 7-34.
DOI : 10.3917/pox.094.0007).
Le fait que l’État français
ait été condamné pour les contrôles policiers abusifs relève de la
reconnaissance d’une discrimination institutionnelle [3].
1.2.4.3. La discrimination
systémique
« Insiste sur le fait que les
processus reposent sur un ensemble d’interactions aux niveaux individuels,
organisationnels, institutionnels et entre eux ».
(Duhme Fabrice, « Du racisme institutionnel à la discrimination systémique ? Reformuler l’approche critique », Migrations et sociétés, Vol. 28, n° 163, 2016).
Il est possible de prendre le cas des personnes en situation de handicap. Elles sont le plus souvent confrontées à une situation de discrimination systémique. Elles font face à des attitudes discriminatoires de la part d’autres individus, mais ces discriminations ne se limitent pas à des situations interindividuelles. Elles revêtent également un caractère institutionnel. En dépit de la loi de 2005, les enfants en situation de handicap peinent à être scolarisés en milieu ordinaire. En outre, les personnes en situation de handicap peuvent être confrontées dans leur vie quotidienne à des discriminations liées à l’accessibilité des lieux de consommation ou de loisirs. Les discriminations peuvent également avoir lieu dans le monde du travail : entretien d’embauche ou encore inégalités salariales par exemple.
La discrimination systémique met en lumière que les discriminations qui touchent un groupe social peuvent se retrouver à plusieurs niveaux : école, emploi, logement, loisirs…
- Le marché de l’emploi :
un lieu central des discriminations systémiques
Le marché de l’emploi distribue tous les individus différemment en fonction de leur profil sociologique : femmes, fils et filles de famille de classes populaires, personnes ayant un phénotype noir, personnes maghrébines, pratiquants des religions juives et musulmanes, personnes en situation de handicap, homosexuels…
Les mécanismes de discriminations
sont multiples : discrimination à l’embauche, plancher collant, inégalités
salariales, plafond de verre, ségrégation horizontale du marché du travail…
Pour aller plus loin
- Edin Vincent et Hammouche Saïd, Chronique de la discrimination ordinaire,
Paris, Gallimard, 2012.
- Laurent Thierry et Mihoubi Ferhat,
« Orientation sexuelle et écart de salaire sur le marché du travail
français : une identification indirecte », Économie et statistique, n° 464-465-466, 2013.
- Peugny Camille, Le Destin au berceau, Paris, Seuil,
2013.
- Valfort Marie-Anne, Discriminations religieuses à l’embauche : une réalité, Institut Montaigne, 2015.
- À la source des
discriminations : la notion de « rapport social »
Il est possible d’essayer d’expliquer la constitution des mécanismes de discrimination en s’appuyant sur la notion de rapport social telle qu’elle a été théorisée par la sociologue Danièle Kergoat.
Elle définit le rapport social de la manière
suivante : « Le rapport social peut être assimilé à une tension qui
traverse la société ; cette tension se cristallise peu à peu en enjeux
autour desquels, pour produire de la société, pour la reproduire ou “pour
inventer de nouvelles façons de penser et d’agir”, les êtres humains sont en
confrontation permanente. Ce sont ces enjeux qui sont constitutifs des groupes
sociaux. Ces derniers ne sont pas donnés au départ, ils se créent autour de ces
enjeux par la dynamique des groupes sociaux [4] ».
Pour Danièle Kergoat, l’enjeu
fondamental autour duquel se constitue le rapport social est le travail :
« l’impératif matérialiste [consiste à se demander] comment se fait l’appropriation
du travail d’un groupe social par un autre [5] ».
Cela signifie qu’un rapport social se constitue car il y a un conflit
relativement au travail. Le travail ne se limite pas ici à l’emploi : la
notion de travail inclut par exemple le travail domestique effectué
principalement par les femmes.
Danièle Kergoat accorde une
place toute particulière dans l’analyse des rapports de travail à la
division du travail : « Il n’en demeure pas moins qu’elle a deux
principes organisateurs : le principe de séparation (travail d’homme versus travail
de femme) et le principe de hiérarchie (un travail d’homme “vaut” plus qu’un
travail de femme) [6] ».
Cela signifie que s’il n’y a pas un seul rapport social qui est explicatif de toutes les inégalités sociales qu’elles soient de classes économiques ou de sexe, ces inégalités trouvent leur fondement dans un conflit autour du travail : les inégalités sociales de classe économique, les inégalités sociales hommes/femmes, les inégalités sociales et les discriminations liées au genre, les discriminations liées au handicap ou encore liée à l’origine ethno-raciale…
Si le rapport social a pour base le travail (avec un conflit portant sur l’exploitation du travail), il ne se limite pas au travail : « Pour parler de rapports sociaux, il faut qu’il y ait exploitation, mais aussi domination, et oppression pour le maintien de cette exploitation et de cette domination [7] ». La domination constitue la dimension politique du rapport social : il s’agit d’une différence dans le pouvoir de prise de décision.
L’oppression constitue la dimension culturelle du rapport social. Il y a donc plusieurs niveaux dans un rapport social. Cela explique que les discriminations et les inégalités que subissent par exemple les femmes ne se limitent pas aux questions de travail, mais implique par exemple également des violences physiques et sexuelles.
Les rapports sociaux sont consubstantiels
et coextensifs [8].
La consubstantialité « c’est l’entrecroisement dynamique complexe des
rapports sociaux, chacun imprimant sa marque sur les autres ; ils se
modulent les uns les autres et se construisent de façon réciproque [9] ».
La coextensivité « quant à elle renvoie au dynamisme des rapports sociaux
puisque les rapports sociaux se coproduisent mutuellement [10] ».
Ainsi, pour comprendre pourquoi les femmes continuent principalement d’assurer
les tâches ménagères et les soins des enfants, il est nécessaire de mettre cela
en lien avec les inégalités salariales dont elles sont l’objet.
- L’envers de la
discrimination : le privilège social
La notion de privilège social a été théorisée par la chercheuse américaine Peggy McIntosh. Elle désigne un avantage social que possède une personne uniquement du fait de sa position sociale. Une personne qui est socialement privilégiée n’est pas nécessairement consciente de ses privilèges car elle ne cherche pas nécessairement à en bénéficier. Cela découle uniquement de sa position sociale structurelle dans le système social.
Par exemple, un homme qui se
présente à un entretien d’embauche, même s’il est parfaitement favorable à l’égalité
homme/femme, peut bénéficier, du simple fait qu’il est un homme, d’un biais favorable
de la part du recruteur.
En outre, Peggy McIntosh s’est
attachée à montrer que les privilèges concernent également des micro-avantages
et de micro-inégalités qui sont présents dans l’ensemble de la vie quotidienne
des individus en fonction de leur profil sociologique et qui contribuent à
différencier leur expérience subjective de la vie sociale.
(McIntosh
Peggy, « White Privilege and Male Privilege », The Teacher in Amercan
Society : A Critical Anthology, in Provenzo Eugène (ed), Los Angeles, Sage,
2011)
Il est possible de distinguer plusieurs mécanismes qui peuvent conduire à des expériences sociales subjectives négatives pour un individu ou un groupe social.
La stigmatisation : la stigmatisation est un processus qui marque un individu
ou un groupe d’une réputation négative.
La menace du stéréotype désigne l’intériorisation par une personne des stéréotypes
qui sont attachés à un groupe social auquel elle est assignée et en particulier
les stéréotypes négatifs. Cela peut avoir un effet sur ces performances lors de
tests d’évaluation.
L’invisibilisation : consiste
à ne pas produire de représentations d’un groupe social au point de donner l’impression
que ce groupe n’existe pas ou qu’il occupe une place tout à fait minoritaire
sans commune mesure avec son poids démographique.
Pour aller plus loin
- Gabarrot François, « La
menace du stéréotype ».
- Goffman Erwin, Stigmate – Les usages sociaux du handicap,
Paris, Minuit, 1975.
- Voirol Olivier, « Les
luttes pour la visibilité. Esquisse d’une problématique », Réseaux, 2005/1 (n° 129-130), p. 89-121.
1.2.5. La lutte contre les discriminations : une prescription institutionnelle. L’exemple de l’Éducation nationale
Comme nous l’avons vu, la lutte contre les discriminations est inscrite dans la loi. Mais elle fait également partie de prescriptions institutionnelles plus précises encore au sein de l’institution scolaire.
Le référentiel de compétence des
enseignants de l’Éducation nationale dispose que la première compétence des
enseignants consiste à : « Savoir transmettre et faire partager les
principes de la vie démocratique ainsi que les valeurs de la République :
la liberté, l’égalité, la fraternité ; la laïcité ; le refus de
toutes les discriminations ». Il est ajouté compétence n° 6 :
« Se mobiliser et mobiliser les élèves contre les stéréotypes et les
discriminations de tout ordre, promouvoir l’égalité entre les filles et les
garçons, les femmes et les hommes ».
(Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation. Arrêté du 1-7-2013 – J.O. du 18-7-2013).
Dans le cadre de ce site Internet, nous nous concentrerons en particulier sur cinq types de discriminations qui ont été plus particulièrement mis en avant par l’Éducation nationale et que l’on retrouve peut retrouver également dans l’enseignement supérieur :
- les discriminations liées au sexe (le sexisme),
LGBTIQphobes, racistes ou encore lié au handicap (handiphobie ou capacitisme).
(Rapport sur les discriminations à l’école, 2010).
- et plus récemment la discrimination liée à la situation
de pauvreté et de précarité sociale (Delahaye Jean-Paul, « Grande pauvreté
et réussite scolaire », mai 2015).
Pour aller plus loin sur la connaissance de l’état
des discriminations en France, consultez le site du Défenseur des droits :
https://www.defenseurdesdroits.fr/fr
- Qu’est-ce que l’intersectionnalité ?
[1] Rowe, Mary, « Micro-affirmations and Micro-inequities », Journal of the International Ombudsman Association, Volume 1, Number 1, March 2008.
[3] Halissat Ismaël, « La cour de cassation confirme la condamnation de l’État pour les contrôles au facies », Libération, 9 novembre 2016.
[4] Kergoat Danièle, « Penser la différence des sexes : rapports sociaux et division du travail entre les sexes », in : Maruani Margaret (sous la direction de), Femmes, genre et sociétés, Paris, La Découverte, 2005, p. 94-101 (voir p. 95).
[5] Kergoat Danièle, « Comprendre les rapports sociaux » , Raison Présente, n° 178, 2011, p. 18
[6] Kergaot Danièle, Se battre disent-elles…, Paris, La Dispute, 2012, p. 135-136.
[7] Entretien avec Danièle Kergoat, « Articuler les luttes contre les différents rapports sociaux inégalitaires », Iresmo, 2011.
[8] Galerand Elsa et Danièle Kergoat. « Consubstantialité vs intersectionnalité ? : À propos de l’imbrication des rapports sociaux. » Nouvelles pratiques sociales, volume 26, numéro 2, printemps 2014, p. 44-61. doi:10.7202/1029261ar
[9] Kergoat Danièle, Se battre disent-elles…, Paris, La Dispute, p. 136.
[10] Ibid, p. 136.